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Le voyage à Aurigny

LE VOYAGE DE GILLES A AURIGNY EN 1558

 « Orrigni » (Aurigny ou Alderney), petite île anglo-normande* de 6 km sur 2, est située à une quinzaine de kilomètres à l’ouest du cap de la Hague.

*Les îles anglo-normandes sont restées possession de la couronne d’Angleterre après le rattachement de la Normandie continentale au royaume de France en 1204.

En ce milieu de xvie siècle, les incidents et les conflits entre corsaires cherbourgeois et corsaires des îles sont nombreux. Ainsi le mardi 15 juin 1557, le navire du capitaine Coq est brûlé par les « Angloys » devant Cherbourg. 

La prise d’Aurigny par des corsaires normands

Gilles connaît bien les milieux maritimes cherbourgeois ; il a ses habitudes chez l’aubergiste Robine de La Mer. En juin 1558, le corsaire Malesart, fils de Robine, recrute un équipage pour effectuer un voyage au Pérou (c’est à dire aux Antilles). En fait de Pérou, ce sera Aurigny.

Gilles et Malesart se connaissent bien. Ainsi, en décembre 1550, Malesart s’était rendu au manoir du Mesnil-au-Val pour choisir lui-même le bois nécessaire à la réparation de son navire.

A la mi-juin, Symonnet, demi-frère naturel et intime de Gilles ainsi que plusieurs de ses amis, veulent embarquer avec Malesart pour le « Pérou ». Gilles est très contrarié. Le 13 juin, il écrit (en caractères grecs) qu’il est : « tout comblé d’ennui et le plus faché que je fus jamès ». Le lendemain, son humeur a empiré : « >mon ennui et facherie se augmentant de plus en plus » (toujours en caractères grecs). Il intervient – sans doute sur les conseils de Cantepie – auprès de Malesart et obtient qu’il « donnast congé à Symonnet de s’en revenir ». « Mes ennuis étaient passés » confie-t-il le 16 juin. Ce sera sa seule manifestation d’émotion de tout le Journal*.

*Pour toutes ces péripéties, voir « Gilles de Gouberville et la  mer » par R. Lerouvillois, les Cahiers goubervilliens n°1, 1997.

Le mardi 21 juin, Gilles note laconiquement que « le cappitaine Malesart avoyt à se matin prins l’isle d’Orrigny », au départ d’Omonville. Le jeudi 23, dans une ambiance franchement festive, « on vendit au plus offrant, au Galé, [anse du Galley, actuel emplacement de l’avant-port militaire de Cherbourg] portion des bestes prinses en l’isle d’Orrigni », qui ne devait pas disposer de beaucoup d’autres richesses. Malesart fait « grande chère » à ses hôtes, dont Gilles, et à leur départ, il fait tirer l’artillerie en leur honneur.

Le voyage de Gilles à Aurigny

Le 26 juin, Gilles et ses compagnons vont à Cherbourg : « nous pensions aller à Orrigny », voyage sans doute projeté le 23 avec Malesart.

Gilles écrit à deux reprises « en Orrigni », expression encore récemment utilisée par les Audervillais qui entretenaient des rapports réguliers avec les Aurignais (pêche, contrebande, sauvetage en mer,.).

Le voyage aller

D’abord prévu le lundi 27 juin au départ de Cherbourg, le voyage est remis  « pour ce qu’il y avoyt des roberges [bateaux] d’Engleterre qui estoyent [au large]> (comme on nous dist) ».

Le samedi 2 juillet, Gilles, Symonnet, Thomas Drouet et Charlot partent de l’anse du Galey dans la barque* de Clément Liès. Ils font une étape à la >pierre de Sct-Germain (sans doute la Roche-du-Var, au nord de Port-Racine, qui peut servir d’amer). Dans l’attente d’une marée favorable, ils prennent pension chez Fleury à Saint-Martin (Omonville-la-Petite). D’autres personnes embarquent à >Saint-Germain. Le départ a lieu dans la nuit de samedi à dimanche « viron une heure après mynuyct ». « Nous trouvasmes à la poincte du jour à Orrigni », ce qui indique un temps de traversée d’environ 2h30 en contournant le Raz-Blanchard.

L’utilisation du terme barque suggère une embarcation plutôt réduite puisque pour Malesart et autres corsaires, Gilles parle de navire.

A Aurigny

Toute la journée du dimanche se passe à Aurigny où Gilles trouve Malesart [revenu sur l’île depuis le 23 juin], Sideville, Denneville (qui occupe le fort) et « leurs bendes » (équipages). Gilles « dîne » (déjeune) et couche chez Malesart, « soupe » (dîne) chez Sideville, fait une sieste en fin d’après-midi chez Denneville (« pour ce que je m’estoys trouvé mal sur la mer »( !). Les trois capitaines occupent donc trois points différents de l’île.

Gilles nous apprend très peu de choses sur Aurigny au milieu du xvie siècle. Il est vrai qu’une bonne partie de la journée semble avoir été consacrée à faire « fort grand chère ». Cependant, il note : « Tout le jour, nous nous pourmenasmes par l’isle pour voyer les descentes [= débarcadères] >qui y sont et visiter les forts ».

Les forts qui font la célébrité actuelle de l’île sont de l’époque victorienne (seconde moitié du xixe siècle), et ceux que mentionne Gilles ne peuvent être que ceux de la Nunnerie (au fond de Longis Bay) dont le mur d’enceinte comporte une base d’époque gallo-romaine et d’Essex Castle (qui domine la même baie au sud-ouest) : sur décision d’Henry viii, un premier fort est construit sur ce dernier site en 1546 ; en 1553, lors de l’avènement de Marie Tudor, les travaux sont abandonnés et la garnison anglaise, rappelée. C’est donc un fort non fonctionnel que Malesart trouve, en 1558, dans une île sans défense.

Le port est alors situé au sud-est de l’île, dans Longis Bay, grande baie abritée par l’îlot de Houmet (= île de Raz) et tournée vers la France ; c’est là que se trouvent les « >descentes », mais la phrase de Gilles pourrait indiquer qu’il en existe ailleurs. Il ne semble pas avoir visité la partie sud et ouest de l’île qui comporte des falaises élevées*. Il ne donne aucune information sur Sainte-Anne, unique agglomération de l’île à l’époque, ce qui eût été précieux**.

*En avril 1561, il compare les falaises des environs de Port-en-Bessin à celles de l’île de Sercq et non d’Aurigny, indiquant, par cette unique allusion, qu’il connaissait Sercq.
** Les constructions les plus anciennes visibles actuellement dans Sainte-Anne datent de la seconde moitié du xviii
e siècle. On peut considérer que le centre de l’agglomération se trouvait alors autour de la place du Marais.

Le retour

Il a lieu dans la matinée du lundi 4 juillet 1558, dans la barque de Clément Liès. Gilles « disne » chez Fleury à Saint-Martin, paye son dû « aux mariniers » et rentre à cheval au Mesnil-au-Val où il arrive le soir, en étant passé à Saint-Nazer (Gréville-Hague) où habitent sa soeur et son beau-frère.

 Ainsi s’achève le rapport de l’unique voyage international de Gilles de Gouberville mentionné dans son Journal.

Les jours suivants, des nouvelles contradictoires vont lui parvenir : Malesart aurait été contraint par une flotte anglaise de quitter Aurigny ; puis il se serait agi d’une flotte française. En fait, il s’agissait bien d’Anglais : « les galères qui avoyent battu nos gens les jours passés estoyent en ladite flotte ». L’île est redevenue anglaise.

Gérard Fosse


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